La prise de la Gare de Bordeaux par les Gilets Jaunes - 02 mars 2019

Comme chaque samedi, le cortège se met en marche le long des quais. Cette fois-ci nous partons vers le pont le pont de pierre. Un peu plus tard, dans le cours de la Marne, nous évaluerons facilement le nombre de manifestants à 4 000-5 000 personnes. Fréquentation de moitié par rapport à d’habitude. Mais ce sont les vacances de février, et les plus assidus ont besoin de souffler un peu avant le mois de Mars.
Mais pour l’instant, nous nous dirigeons vers la gare.

Contrairement à notre dernière visite dans ce quartier, nous n’arrivons devant le bâtiment sur le côté, mais de face. Bien de face…
Je me trouve au tout début du cortège. Les gens s’arrêtent à quelques mètres des rails du tram. On peut sentir une atmosphère hésitante. Les gens sont heureux de défiler, comme chaque samedi. On retrouve les mêmes têtes avec lesquelles on s’est familiarisé depuis 16 semaines.
Au bout de quelques minutes de stationnement, le groupe de tête se rapproche de la gare en chantant des slogans à tue-tête.
Je reste en tête, et me positionne sur le côté pour avoir une vue d’ensemble. On sent de plus en plus qu’il va se passer quelque chose. Allons-nous oser entrer dans la gare ?
L’hésitation est toujours là, et en même temps, un gros désir de gamins de faire une bonne blague commence à monter de plus en plus dans les rangs.
Je regarde la tête des manifestants, tournés vers la gare. Leurs yeux commencent à s’illuminer comme devant un cadeau qu’on leur fait.
Toujours lentement, le cortège s’approche de plus en plus.

Une fenêtre s’ouvre au premier étage de la gare. Plusieurs hommes s’y positionnent, probablement des cadres. Leurs visages se décomposent en voyant plus de 4 000 gilets jaunes se tenir juste en bas d’eux.
Soudain, le coup d’envoi est donné… La tête du cortège donne l’impulsion : on va rentrer.
Un employé de la gare se jette sur la porte située à une vingtaine de mètres de nous pour tenter de la fermer… Un individu masqué et habillé en noir se précipite sur lui pour l’en empêcher. On entend un bruit de carreau cassé.  Déjà un petit groupe de gilets jaunes s’engouffre par le passage, suivit dans la seconde par la tête du cortège.
Les gens rigolent ! Je me souviens du récit de Juan Branco au sujet de la porte du ministère, détruite au transpalette, et je ressens tout de suite l’atmosphère qu’il décrivait : Une joie intense d’arriver à faire une percée là où on ne nous attendait pas. Nous avons créé la surprise !
Les gens sont surpris eux-mêmes d’avoir fait « la prise de la gare » !

En moins de 10 minutes des centaines de manifestants ont investi le lieu. Ils chantent tous avec ferveur dans le hall, qui résonne et donne l’impression d’être au stade de France.
C’est magique… un moment de grâce pour tous ces gens qui sont dans la rue depuis 16 semaines. Les visages s’illuminent, les gens rient et déambulent dans le hall, sur les quais et sur les rails comme s’ils avaient gagné la partie. Cette fois-ci, c’est eux qui remportent la bataille.
L’ambiance est à la fête. Les trois pétards qui explosent dans le hall résonnent aussi fort que des bombes et font crier les gens de joie !

Au bout d’une dizaine de minutes, l’alerte est donnée sur les réseaux. Les internautes bordelais prévient, les CRS sont en bas de chez eux, du côté de la gare. On doit bouger. Il ne faut pas rester sur place trop longtemps, tout le monde sait ça maintenant. Le mouvement est notre force.
Très vite, le cortège se repli et tous les manifestants vident les lieux aussi vite qu’ils l’ont investi.

Le bonheur est palpable. Le moral est remonté à bloc. Même à 4 000 – 5 000 personnes, on peut arriver à faire quelque chose de fort.
Pas un seul flic à l’horizon. Ils sont pourtant pas loin, mais peut –être n’ont-ils pas eu le temps de s’organiser. La gare est un lieu sensible pour eux.
L’arrivée de l’hélicoptère déclenche rires et cris : il est en avance aujourd’hui ! On a du écouter la pause-café du pilote.

Le cortège se reforme, et reprend son trajet le long du cours de la Marne, dans le calme, et une certaine allégresse pour continuer son périple hebdomadaire.


En conclusion : plus de 4 000 manifestants dans une gare, et un carreau cassé à la porte d’entrée. Quelle violence !

crédit photo : JohanPX Photographie

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